Pourquoi anticiper le transfert de compétences avant un départ à la retraite ?
Quand un collaborateur expérimenté s’apprête à quitter votre entreprise pour la retraite, c’est comme si une bibliothèque entière menaçait de disparaître. Vous le savez, ces départs emportent souvent avec eux des années d’expertise, de connaissances techniques et de relations précieuses. Le transfert de compétences devient alors une priorité stratégique, pas seulement une case à cocher dans votre processus RH.
Les enjeux du transfert de savoir pour la continuité de l’entreprise
La transmission des connaissances représente un défi majeur pour maintenir la performance de votre organisation. Vous avez probablement déjà vécu cette situation : un expert part et soudain, personne ne sait comment gérer certaines tâches spécifiques ou résoudre des problèmes complexes.
Sans plan de transmission structuré, vous risquez de faire face à plusieurs conséquences directes : perte de productivité, augmentation des erreurs, allongement des délais de traitement et même détérioration de la relation client. La mémoire d’entreprise que représente chaque collaborateur senior constitue un patrimoine immatériel souvent sous-estimé.
Concrètement, quand un expert technique part sans partage préalable, vous pouvez perdre :
- Des solutions à des problèmes récurrents que lui seul savait résoudre rapidement
- Des relations privilégiées avec certains clients ou fournisseurs
- Des astuces et raccourcis développés au fil des années
- Une compréhension approfondie des processus informels
La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) prend ici tout son sens pour anticiper ces transitions et maintenir votre capital humain intact.
Quand commencer la transmission des connaissances ?
Vous vous demandez probablement quel est le moment idéal pour démarrer ce processus de passation. La réponse est simple : bien plus tôt que vous ne le pensez. Un transfert de compétences réussi nécessite généralement entre 6 et 18 mois selon la complexité du poste.
Idéalement, vous devriez initier le processus dès que le collaborateur annonce son intention de partir à la retraite, voire dans le cadre d’une planification stratégique anticipée. L’apprentissage collaboratif prend du temps, surtout pour les savoirs tacites qui ne s’acquièrent pas en quelques semaines.
Vous avez certainement remarqué que les transferts précipités en dernière minute aboutissent rarement à une transmission complète. Le futur retraité se retrouve alors submergé par les sollicitations, tandis que son successeur tente d’absorber trop d’informations en trop peu de temps.
Un calendrier progressif permet d’organiser la montée en compétences par étapes digestibles, en commençant par les connaissances explicites pour aller vers les savoirs plus subtils et contextuels.
Comment identifier et cartographier les compétences à transférer
Avant de vous lancer dans le processus de transmission, vous devez d’abord savoir précisément ce qui doit être transmis. Cette étape d’identification est fondamentale pour un transfert de compétences efficace et ciblé.
Repérer les savoirs critiques et l’expertise unique du collaborateur
Commencez par observer et questionner le collaborateur sur ses activités quotidiennes. Vous découvrirez souvent que certaines de ses compétences sont invisibles dans les fiches de poste officielles. Le tutorat informel qu’il pratique peut-être déjà auprès de ses collègues révèle souvent ces zones d’expertise.
Pour identifier ces savoirs critiques, posez-vous ces questions :
- Quelles situations problématiques ce collaborateur résout-il systématiquement mieux que les autres ?
- Vers qui l’équipe se tourne-t-elle spontanément face à certains défis ?
- Quelles tâches seraient difficiles à réaliser en son absence ?
- Quelles relations externes (clients, fournisseurs, partenaires) entretient-il personnellement ?
Les entretiens avec les collègues directs vous aideront également à cartographier cette expertise unique. La valorisation de l’expérience passe par cette reconnaissance collective des compétences spécifiques du futur retraité.
Distinguer connaissances explicites et savoirs tacites
Dans tout processus de transmission intergénérationnelle, vous devez différencier deux types de savoirs :
Les connaissances explicites sont facilement formalisables : procédures écrites, modes d’emploi, documentation technique, bases de données. Vous pouvez les capturer relativement simplement via la documentation des processus.
Les savoirs tacites, en revanche, représentent le véritable défi. Ce sont ces intuitions, ces réflexes professionnels, ces jugements basés sur l’expérience que le collaborateur lui-même a parfois du mal à expliquer. “Je le sais, c’est tout”, vous répondra-t-il souvent quand vous lui demanderez comment il a résolu un problème complexe.
Pour illustrer cette différence, prenez l’exemple d’un technicien expérimenté qui reconnaît un dysfonctionnement machine au simple bruit qu’elle émet. Cette capacité relève du savoir tacite, fruit de nombreuses années d’exposition à différentes situations.
La rétention des savoirs tacites nécessite des méthodes spécifiques comme le compagnonnage, l’observation directe ou les récits d’expérience que nous aborderons plus loin.
Établir une matrice des compétences prioritaires
Une fois les compétences identifiées, vous devez les hiérarchiser pour organiser efficacement leur transmission. Le référentiel de compétences que vous allez créer doit distinguer :
- Les compétences critiques (indispensables à court terme)
- Les compétences importantes (nécessaires à moyen terme)
- Les compétences utiles (qui apportent une valeur ajoutée)
Cette matrice de compétences vous permettra d’établir un plan de développement des compétences cohérent avec deux axes d’analyse :
1. Le niveau de criticité pour l’entreprise (impact sur la performance)
2. La difficulté/durée d’acquisition (temps nécessaire pour maîtriser)
Vous pouvez utiliser un simple tableau croisé pour visualiser ces priorités et déterminer par où commencer. Les compétences à la fois critiques et longues à acquérir doivent naturellement figurer en tête de liste dans votre stratégie de développement des compétences.
Les méthodes efficaces pour documenter l’expertise tacite
La documentation des savoirs invisibles constitue probablement le plus grand défi du transfert de compétences. Vous avez besoin de méthodes spécifiques pour capturer ces connaissances qui ne s’expriment pas facilement par des mots.
Le shadowing : observer pour mieux comprendre
Le shadowing, ou observation en situation de travail, permet au successeur de suivre le collaborateur expérimenté comme son ombre pendant plusieurs jours. Vous créez ainsi un contexte d’apprentissage par immersion où les gestes, les réactions et les décisions peuvent être observés en temps réel.
Pour optimiser cette méthode de formation interne, structurez-la en trois phases :
- Observation pure : le successeur regarde sans intervenir
- Questionnement : moments dédiés pour poser des questions sur les actions observées
- Pratique commentée : le successeur réalise les tâches sous supervision
Cette approche de mentorat direct permet de saisir les subtilités que le collaborateur expérimenté applique parfois inconsciemment. Vous remarquerez que certains experts adaptent leur façon de travailler selon des variables qu’ils peinent eux-mêmes à expliciter.
Le parrainage structuré sur plusieurs semaines offre l’avantage de couvrir différentes situations professionnelles, y compris les cas exceptionnels qui pourraient survenir pendant cette période.
Les entretiens d’explicitation pour formaliser les savoirs invisibles
Les entretiens d’explicitation constituent une technique d’entretien spécifique développée pour faire émerger les connaissances tacites. Vous guidez le collaborateur à travers une analyse réflexive de ses propres actions.
Concrètement, plutôt que de demander “Comment faites-vous pour…?”, vous l’invitez à décrire précisément une situation récente : “La dernière fois que vous avez résolu ce problème, qu’avez-vous fait en premier ? Puis ensuite ? À quoi avez-vous prêté attention ?”
Cette méthode de coaching cognitif permet de décomposer des processus mentaux complexes en étapes observables. Vous obtenez ainsi une verbalisation des indices utilisés, des points d’attention et des critères de décision.
Pour améliorer l’efficacité de ces entretiens :
- Enregistrez-les (avec accord préalable)
- Centrez-vous sur des cas concrets récents
- Évitez les questions “pourquoi” qui provoquent des justifications plutôt que des descriptions
- Relancez sur les moments clés pour obtenir plus de détails
Cette approche d’intelligence collective permet de transformer progressivement les savoirs tacites en connaissances explicites documentables.
La création de supports visuels et procédures annotées
Les informations recueillies doivent être formalisées dans des formats accessibles et pérennes. La documentation des processus gagne en efficacité lorsqu’elle combine différents supports :
- Procédures écrites enrichies de commentaires personnels
- Schémas et diagrammes de décision
- Photos annotées des situations ou équipements
- Vidéos commentées des gestes techniques
- Enregistrements audio des explications
L’expertise métier se transmet plus efficacement quand vous utilisez des supports visuels. Vous avez probablement déjà constaté qu’un schéma annoté par un expert vaut souvent mieux qu’une longue procédure textuelle.
Pour les procédures, encouragez le collaborateur à ajouter ses propres notes : “Attention à ce point particulier…”, “Si cette situation se présente, alors…”, “J’ai remarqué que…”. Ces annotations personnalisées constituent souvent la véritable valeur ajoutée de la documentation.
Construire un calendrier de transfert de compétences sur mesure
Une fois les compétences identifiées et les méthodes choisies, vous devez organiser le transfert de compétences dans le temps. Un calendrier bien structuré évite la précipitation et garantit une transmission progressive et complète.
Planifier les phases de transmission selon la complexité des savoirs
La transmission des connaissances doit suivre une progression logique, du plus simple au plus complexe. Vous gagnerez en efficacité en structurant votre calendrier en phases distinctes :
- Phase 1 : Transmission des connaissances explicites et facilement documentables
- Phase 2 : Apprentissage des procédures et méthodes standardisées
- Phase 3 : Transfert des savoirs contextuels et relationnels
- Phase 4 : Partage des savoirs tacites et de l’expertise de haut niveau
Pour chaque phase, définissez des objectifs clairs et des livrables concrets. La montée en charge progressive permet au successeur d’assimiler les connaissances sans se sentir submergé, tout en donnant au collaborateur sortant le temps nécessaire pour structurer sa pensée.
Prévoyez également des périodes tampon dans votre plan de formation pour absorber les imprévus ou approfondir certains aspects qui se révéleraient plus complexes que prévu.
Organiser des sessions pratiques de mise en situation
La théorie ne suffit pas pour acquérir des compétences opérationnelles. Vous devez intégrer à votre calendrier des sessions pratiques où le successeur applique concrètement les connaissances transmises.
Ces mises en situation peuvent prendre différentes formes :
- Résolution de cas réels sous supervision
- Prise en charge progressive de responsabilités spécifiques
- Simulation de situations problématiques
- Rotation des postes pour comprendre les interactions
L’apprentissage par la pratique permet de vérifier l’assimilation réelle des compétences. Vous constaterez souvent que c’est lors de ces sessions que surgissent les questions les plus pertinentes et les besoins d’approfondissement.
Prévoyez un système de formation croisée où le successeur peut également apporter sa propre expertise, créant ainsi un échange bidirectionnel qui valorise les deux parties.
Prévoir des points d’étape et d’évaluation
Pour garantir l’efficacité du processus, intégrez des moments d’évaluation réguliers. Ces points d’étape permettent d’ajuster le plan de développement des compétences en fonction des progrès réalisés et des difficultés rencontrées.
Structurez ces évaluations autour de trois questions principales :
- Quelles compétences sont désormais maîtrisées ?
- Quels aspects nécessitent un approfondissement ?
- Quels savoirs n’ont pas encore été abordés ?
Ces moments de bilan impliquent idéalement trois parties : le collaborateur sortant, son successeur et un responsable RH ou manager. La polyvalence recherchée se construit progressivement, et ces évaluations permettent de visualiser cette progression.
Documentez systématiquement ces points d’étape pour garder une trace de l’évolution du transfert et identifier d’éventuels ajustements nécessaires dans le calendrier ou les méthodes utilisées.
Les outils numériques qui facilitent le partage des connaissances
La technologie offre aujourd’hui de nombreuses solutions pour faciliter et pérenniser le transfert de compétences. Ces outils numériques permettent de capturer, organiser et diffuser les savoirs au-delà du simple face-à-face.
Plateformes collaboratives et bases documentaires
Les plateformes collaboratives constituent le socle technique d’une gestion des connaissances efficace. Vous pouvez y centraliser l’ensemble des informations recueillies pendant le processus de transfert.
Parmi les solutions les plus adaptées, on trouve :
- Les wikis d’entreprise pour documenter les processus et procédures
- Les espaces de travail partagés permettant l’annotation collaborative
- Les bases de connaissances structurées par thématiques
- Les forums internes pour les questions/réponses
L’avantage de ces outils de knowledge management est qu’ils permettent une mise à jour continue des informations. Vous évitez ainsi que les connaissances transmises ne deviennent obsolètes avec le temps.
Pour améliorer leur efficacité, structurez votre base documentaire selon les processus métier plutôt que par départements. Cette organisation facilite la recherche d’information pour les utilisateurs futurs.
Captation vidéo et audio des savoir-faire
Les formats audiovisuels offrent une richesse incomparable pour capturer les savoirs tacites. Vous pouvez facilement mettre en place :
- Des tutoriels vidéo montrant les gestes techniques
- Des interviews filmées sur des situations spécifiques
- Des podcasts explicatifs sur les raisonnements complexes
- Des démonstrations commentées en temps réel
Ces supports présentent l’avantage de capturer les nuances non-verbales : intonations, expressions, gestes précis. Vous créez ainsi une bibliothèque vivante des compétences clés de votre organisation.
Pour une efficacité maximale, indexez soigneusement ces contenus avec des mots-clés pertinents et découpez-les en séquences thématiques courtes. Un enregistrement de 2 heures sera rarement consulté, alors que 12 vidéos de 10 minutes sur des sujets précis seront beaucoup plus utilisées.
Solutions de mentorat à distance et suivi post-départ
Le départ physique du collaborateur ne signifie pas nécessairement la fin de sa contribution. Les outils de communication à distance permettent de maintenir un lien précieux :
- Plateformes de visioconférence pour des sessions de questions/réponses
- Applications de messagerie instantanée pour des conseils ponctuels
- Systèmes de partage d’écran pour guider à distance
- Outils d’annotation collaborative sur documents
Ces solutions d’accompagnement à distance offrent une transition plus douce et permettent de résoudre les questions qui surgissent inévitablement après le départ. Vous créez ainsi un filet de sécurité pour le successeur.
Certaines entreprises mettent en place des contrats de consultant à temps très partiel avec leurs retraités, formalisant cette disponibilité post-départ pour des questions spécifiques.
Et après ? Pérenniser les savoirs au-delà du départ à la retraite
Le véritable succès d’un transfert de compétences se mesure dans la durée. Au-delà de la transmission initiale, vous devez mettre en place des mécanismes qui garantissent la pérennisation et l’évolution des savoirs transmis.
Mettre en place une communauté de pratiques
Les communautés de pratiques rassemblent des personnes partageant un même domaine d’expertise pour échanger régulièrement. Vous pouvez créer ces espaces d’échange autour des compétences critiques identifiées.
Ces communautés fonctionnent généralement sur trois niveaux :
- Partage d’expériences et de cas concrets
- Développement collectif de nouvelles solutions
- Constitution d’un référentiel commun de bonnes pratiques
L’intelligence collective qui émerge de ces groupes permet non seulement de préserver les savoirs transmis, mais aussi de les faire évoluer. Vous transformez ainsi un simple transfert en un processus d’amélioration continue.
Pour animer efficacement ces communautés, désignez un référent métier chargé d’organiser les rencontres, de documenter les échanges et de maintenir la dynamique du groupe.
Maintenir le lien avec le collaborateur parti
Le départ à la retraite ne doit pas nécessairement marquer une rupture définitive. Vous pouvez maintenir un lien précieux avec vos anciens collaborateurs de plusieurs façons :
- Invitations aux événements d’entreprise
- Sollicitations ponctuelles sur des problématiques spécifiques
- Participation à des sessions de formation comme intervenant externe
- Intégration dans un réseau d’experts seniors consultables
Cette relation post-départ valorise l’expérience du retraité tout en offrant à l’entreprise un accès continu à son expertise. Vous créez ainsi un cercle vertueux où la transmission ne s’arrête jamais vraiment.
Certaines organisations formalisent ce lien à travers des programmes de “seniors advisors” ou d'”ambassadeurs”, donnant un cadre structuré à cette collaboration post-retraite.
En définitive, un transfert de compétences réussi ne se limite pas à la période précédant immédiatement le départ. C’est un processus continu qui s’intègre dans une vision plus large de gestion des talents et de capitalisation des savoirs au sein de votre organisation.
Pour aller plus loin dans votre démarche de transmission des connaissances et mettre en place une stratégie adaptée à votre contexte, n’hésitez pas à consulter les experts d’Aoria RH qui pourront vous accompagner dans cette transition cruciale. Découvrez nos services de GEPP/GPEC spécialement conçus pour les TPE et PME.




